LES INEGALITES ECONOMIQUES ET VIOLENCE A L’EGARD DES FEMMES RURALES

Catégorie : Publications & Rapports

© Février 2017, Par Maitre Jules KEKE, Avocat près la cour d’appel de Bukavu. Consultant Juridique chez Peuples Sans Voix

La guerre a épuisé les réserves des habitants, eux qui vivaient déjà avec des moyens précaires. Par le dysfonctionnement de l’appareil étatique, le chômage et le non-paiement des salaires ont fait que tout le poids de la famille reposait sur les femmes qui devraient pratiquer la débrouillardise pour faire vivre les autres.

La femme rurale n’est pas spécifique par rapport aux autres. Elle reste femme mais les situations dramatiques qu’elle a vécues ont fait d’elle une femme distincte.

En effet, au moment où tous les services de l’Etat étaient paralysés, elle n’a pas hésité à se lancer dans la débrouillardise (vente de petits articles comme beignets, cacahuètes, avocats, eau de sachets…) pour faire vivre les e »enfants.[1]

On assiste à Bukavu et particulièrement en milieux ruraux à une prise de conscience générale de la réalité de la crise. L’image qui prévaut est celle des conditions de vie difficile du plus grand nombre. Partout on parle de la souffrance et de la faim.

Cette situation est régulièrement exprimée lorsque deux personnes se rencontrent et se saluent « bonjour » réponse «bonjour». Quelles nouvelles? Réponses : « rien que les difficultés ou rien que la faim ou difficultés en difficultés en difficultés ».

A la question « comment ça va », les plus instruits répondent avec une pointe d’humour : « au taux du jour ». Ceci exprime simplement les difficultés de nourrir son monde, les difficultés de nouer les deux bouts du mois, la faiblesse des revenus et la fragilité des budgets ménagers, l’augmentation fulgurante des prix des denrées alimentaires et des biens de consommation courante, la permanence des situations de déséquilibre et parfois la privation des éléments nécessaires à la vie s’expriment et tendent à réunir les critères objectifs de la misère.

Dans cette situation, les femmes et, en particulier les mères de famille remplissent une tache héroïque.

Parce qu’elles protestent contre leur sort, mais aussi contre l’arbitraire, et  qu’elles luttent pour améliorer le quotidien des sociétés dans lesquelles elles vivent, les femmes subissent mille affronts et persécutions. La prétention de vivre digne- de vivre tout court- se paie trop souvent au prix fort.

Dans presque toutes les sociétés humaines, force est de constater, le pouvoir appartient aux hommes. Les femmes ont été reléguées au second plan de la vie sociale, souvent ravalées au rang d’objet, à l’intérieur des maisons pour les femmes des classes sociales aisées, sans véritable responsabilités autres que ménagères. Dans les classes  modestes et pauvres, pour des raisons purement économiques, les femmes ont été et sont toujours mises à contribution pour nourrir les familles.

Mais qu’est ce qui est à la base des inégalités économiques et violences à l’égard des femmes?

Différents éléments ou freins seraient à la base des inégalités à l’endroit des femmes

Venons-en maintenant aux différents obstacles à la mise en œuvre de la convention de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et  à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels de la femme congolaise en général et la singulièrement la femme rurale.

  1. Obstacles culturels à la mise en œuvre de la convention de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes congolaises.

 

La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes impose aux Etats parties à prendre des mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux, en assurant entre autres, les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours et lors de la dissolution du mariage. Ils doivent reconnaitre en particulier les droits égaux en ce qui concerne la conclusion des contrats et l’administration des biens.

    Aux termes de l’art 444 de la loi modifiant et complétant la loi n° 87- 0010 du 1er AOUT 1987 portant code de la famille, le mari est le chef du ménage. Les époux se doivent protection mutuelle. Cette disposition exprime mieux la conception de la femme dans les traditions congolaises et affecte les modalités de gestion des biens du ménage. Ainsi, sous la direction du mari, les époux concourent, dans l’intérêt du ménage, à assurer la direction morale et matérielle de celui-ci. Conformément à la mentalité traditionnelle, l’ancienne loi prévoyait que, pour accomplir un acte juridique, la femme mariée devait obtenir l’autorisation de son mari.

       Dans cette optique, la gestion des biens de valeur tels que les immeubles, les champs, et les véhicules relève du domaine exclusif du mari, même si les 2 conjoints ont adopté le régime de la communauté universelle des biens.

Jusqu’à présent la femme congolaise et celle rurale n’agit dans ce domaine que par délégation de pouvoir par le chef du ménage. Ne gère en exclusivité que les ustensiles de la cuisine, la nourriture et le budget familial quelque fois.

Même si la tendance a beaucoup évolué dans les centres urbains en faveur de l’égalité entre les 2 sexes, la coutume réduit le rôle de la femme dans la gestion du patrimoine familial        

 Avec l’avènement de la réforme, le législateur à l’art 448 de la loi précitée dit que les époux doivent s’accorder pour tous les actes juridiques dans lesquels ils s’obligent à une prestation qu’ils doivent effectuer. Qu’en cas de désaccord persistant, le conjoint lésé saisi le tribunal de paix. 

Cette évolution est salutaire pour la femme congolaise et spécialement celle vivant au village encore qu’elle doit être informée par des séances de sensibilisation et de formation.

L’art 6 de la  convention précitée reconnait en tous lieux la personnalité juridique de chaque citoyen et garantit le principe de l’égalité de tous devant la loi et une égale protection de celle-ci.

Le pacte international relatif aux droits civils et politiques en son art 14, reconnait l’égalité des citoyens devant les tribunaux et les cours de la justice.

Il ressort de ces dispositions que tout citoyen a, sans discrimination de sexe, le droit de saisir la justice et à ce que sa cause soit entendue par un juge compétent et impartial. Si la femme célibataire peut  ester en justice dans les s mêmes conditions que l’homme,  la femme mariée congolaise jusque-là était encore soumise à obtenir préalablement l’autorisation de son mari mais avec la nouvelle réforme elle doit s’accorder avec son mari pour tous les actes juridiques qu’elle veut effectuer.

Bien de femmes ignorent encore cette innovation apportée par le nouveau législateur.

 

  1. Obstacles à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels[2]

 

Aux termes de la DUDH (déclaration universelle des droits de l’homme) toute personne  a droit à l’éducation de nature à promouvoir l’épanouissement de sa personnalité humaine.

L’art 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels affirme que l’éducation doit offrir à toute personne la possibilité de jouer un rôle dans la société.

A ce titre, les Etats parties à cette convention ont l’obligation de prendre des mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes afin de leur assurer les droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l’éducation.

L’art 43  de la constitution de la RDC dispose : « toute personne a droit à l’éducation scolaire. Il y est pourvu par l’enseignement national. » (…)

Alinéa 4 « l’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics »

En dépit de cette déclaration d’intention, la fille congolaise et spécialement la fille rurale ne bénéficie pas de la gratuité de l’école primaire. Les pesanteurs culturelles sont à la base aussi de la non fréquentation des enfants filles à l’éducation.

 

 

L’art 12 de la CEDAW impose aux Etats parties à prendre les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer sur base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille. Ils doivent en outre fournir aux femmes pendant la grossesse, l’accouchement et après, des services appropriés, gratuits, ainsi qu’une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement.

 

Pour sa part la constitution de la RDC à son article 47 dispose : « le droit à la santé et à la sécurité alimentaire est garanti »

Au-delà de ce vœu pieux ce droit est loin d’être assuré pour le peuple congolais et singulièrement les femmes.

Bien qu’elle soit interprétée de plusieurs façons, la sécurité alimentaire peut être définie comme l’accès par tous à tout temps à ne nourriture suffisante pour une vie active et en bonne santé. Ses éléments essentiels sont la disponibilité et la capacité de se l’approprier. L’insécurité alimentaire, par contre, se réfère au manque d’accès à une nourriture suffisante.

Selon le concept de sécurité alimentaire tel que défini ci-dessus, il ya  4 piliers cruciaux pour atteindre la sécurité alimentaire. Il s’agit de :

Cadre d’actions pour arriver à une sécurité alimentaire durable

 

 

Les Etats parties à la CEDAW doivent, conformément à l’art 11 prendre de mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi.

La déclaration du millénaire a rappelé aux Etats leur obligation de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes en tant que moyen efficace de combattre, entre autres, la pauvreté, la faim, les maladies et de promouvoir un développement durable.

La plupart des femmes, surtout en milieu rural, ont des emplois informels et généralement les plus précaires avec des revenus trop faibles.

 

 

Aux termes de la déclaration sur le progrès dans le monde, le progrès et le développement dans le domaine social exigent la participation de tous les membres de la société à un travail productif socialement utile et l’établissement , conformément aux droits de l’homme, ainsi qu’aux principes de la justice et de la fonction sociale de la propriété, des modes de propriété de la terre et des moyens de production, propres à exclure toute forme d’exploitation de l’homme, à assurer à tous les êtres humains un droit égal à la propriété et à créer des conditions qui conduisent à l’établissement entre eux d’une égalité véritable.

Au tant que la femme est discriminée à l’accès au travail, au tant qu’elle n’a pas accès au crédit et aux moyens de production, pourtant l’art 13 de la CEDAW stipule que les Etats doivent assurer sur la base de l’égalité les mêmes droits, en particulier « le droit aux prêts bancaires, prêts hypothécaires et autres formes de crédit »

 

L’homme étant propriétaire du lopin de terre et des immeubles, la femme accède difficilement aux prêts hypothécaires en RDC.

Ajoutons que la femme, à la faveur des revendications sociales, n’accède qu’aux micro- crédits sans pour autant renforcer son pouvoir d’achat, mais la proportion qui y accède n’est constituée en majorité que celle vivant en milieu urbain, et surtout intellectuelles.

 

Droit à l’alimentation

Aux termes de la CEDAW, les Etats parties doivent offrir à toute personne la possibilité d’accéder à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant, ainsi qu’une amélioration constante des conditions d’existence.

En RDC, au Congo central par exemple, la femme ne  pouvait pas manger des omelettes au risque de ne pas concevoir ou avoir des  complications à l’accouchement. Chez les  YOMBE, elle  ne devait pas manger la tortue pour éviter l’hémorroïde et les difficultés d’accouchement.  

Dans le BUSHI, au sud Kivu, la femme ne consommait pas le poulet et les œufs.

Ces interdits existaient, dans la plupart de cas, pour respecter le totem ou éviter l’impuissance sexuelle chez l’homme, ils étaient fondés sur le tabou, la fragilité et surtout sur l’égoïsme  de l’homme.

Au regard de ces barrières, passons en revue les mesures législatives prises par la RDC pour réaliser la convention.

Certes des mesures législatives, institutionnelles existent mais souffrent généralement du déficit de volonté politique.

 

De ce qui précède, il est à retenir que les inégalités économiques peuvent être un facteur déterminant de la violence à l’égard des femmes tant au niveau individuel qu’au niveau des grandes tendances économiques qui instaurent ou aggravent les conditions propices à cette violence.

Ces inégalités économiques existent au niveau local et national, aussi bien qu’au plan mondial.

Les inégalités économiques et la discrimination dont souffrent les femmes dans les domaines comme l’emploi, les revenus, l’accès à d’autres ressources économiques ainsi que leur manque d’indépendance économique réduisent leur capacité d’agir et de prendre des décisions et accroissent leur vulnérabilité à la violence.

La situation économique des femmes  dans l’ensemble s’est améliorée dans de nombreux pays mais nombre d’entre elles sont toujours victimes de discrimination dans le secteur formel et informel de l’économie, et d’exploitation économique au sein de la famille.

  L’absence d’indépendance économique des femmes, dont témoignent également les difficultés pour elles à accéder aux ressources économiques (propriétés foncières et biens personnels, salaires et accès au crédit) et d’en avoir la libre disposition, les expose d’autant plus à la violence.

 En outre, les restrictions du droit des femmes de disposer de ressources économiques, tels les revenus des ménages, peuvent constituer une forme de violence à leur égard au sein de leurs familles.  Certes, l’indépendance économique ne soustrait pas les femmes à la violence, mais leur accès aux ressources économiques par exemple leur  accorder les crédits rotatifs  peut les rendre mieux à faire des choix décisifs comme celui d’échapper à des situations violentes et de bénéficier de mécanismes de protection et de réparation.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

  1. Les héroïnes sans couronne, Kilongo Fatuma Ngongo Globe thics.net Thèses N015
  2. Situations problématiques en milieu Tentative de traitement non institutionnel, Bernadette NIMY-MOENDO-LENOIR, I.S.S.R.- 1995.
  3. Introduction aux droits de l’homme, sous la direction de Marie Agnès Combesque SYROS jeunesse
  4. Femmes et paix dans la ville de Bukavu 1996 à 2006, Editions de l’Université Protestante au Congo « EDUPC » Kin, 2009,
  5. Justice économique, édition CSA, 2008
  6. Etude approfondie de toutes les formes de violence à l’égard des femmes

 

    Propos  réalisé par   Maître  Jules keke, Avocat près la cour d’Appel de Bukavu, RDC

  

 

[1] Situations problématiques en milieu africain. Tentative de traitement non institutionnel par Bernadette NIMY-MOENDO- LENOIR, I.S.S.R.-1995. P.96

[2]  Ligue des droits de la personne dans la région des grands lacs, septembre 2007

[3] Justice économique, édition CSA 2008

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